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samedi 10 février 2018

Ténégria, tome 2: Prologue (version non corrigée)



Prologue   

Londres, octobre 1859

— Vous souhaitiez me voir, père ? demanda Melchior tout en refermant soigneusement la porte.
— Oui, fils. Assieds-toi. Je termine ce courrier urgent et je suis à toi.
Il s’exécuta et en profita pour détailler le domaine privé de son père. Cet endroit où, enfant, il lui était interdit d’entrer et qui n’avait jamais cessé de l’intriguer. Encore aujourd’hui, malgré ses vingt-neuf ans, il se sentait impressionné par la sobriété, l’état impeccable de la pièce et par la quantité phénoménale de livres remplissant les bibliothèques en acajou recouvrant la plupart des murs. L’odeur s’y dégageant, un mélange de cuir, de cire et de tabac (le seul vice de son père) avait un côté réconfortant.

Puis son regard glissa lentement sur l’homme assis derrière son bureau, occupé à noircir de sa plume, une feuille de papier. Les cheveux grisonnants, un corps toujours ferme et musclé malgré son âge, Joseph Matharel possédait un physique intimidant. Pourtant, ceux qui le côtoyaient savaient qu’il faisait rarement preuve de violence. En tant qu’Exécuteur, ce dernier avait très tôt appris à canaliser ses émotions afin de ne jamais se laisser submerger par la Bête blottie à l’intérieur de son esprit. Cela ne signifiait pas pour autant qu’il était inoffensif. Bien au contraire, il pouvait rapidement devenir dangereux, particulièrement envers ceux qui avaient le malheur de s’en prendre aux membres de sa famille.

Une fois sa tâche terminée, il lui offrit ce sourire chaleureux uniquement réservé à son frère et à lui, avant de se lever.
Pourtant, cette fois, son sourire n’atteint pas ses yeux et Melchior sut qu’il n’allait pas aimer la suite.
Il observa son père se diriger vers une petite table sur laquelle une bouteille de cognac ainsi que plusieurs verres en cristal étaient soigneusement disposés.
Joseph en remplit deux avant d’en proposer un à son fils et de retourner prendre place dans son fauteuil.
Ils dégustèrent leur boisson sans prononcer le moindre mot jusqu’à ce que le plus âgé des deux finisse par rompre le silence.
— Hier, j’ai reçu une importante missive écrite de la main même de la reine Abigaïl. Je ne t’en ai pas immédiatement fait part, je ne souhaitais pas gâcher cette journée spéciale, mais je ne peux retarder cette discussion plus longtemps.

Mû par l’appréhension, Melchior posa son verre sur le bureau et attendit nerveusement la suite.
— Je vais devoir m’absenter quelques semaines. La reine requiert ma présence à ses côtés au plus vite. Elle craint pour la sécurité du royaume et rassemble les Surnaturels les plus importants afin de former un conseil. J’ai l’intention de prendre la route dès demain. Je compte sur toi pour me remplacer durant mon absence.
En face, Melchior peinait à conserver un air impassible tant son corps tremblait suite à l’annonce de son père. Il avait eu le nez fin en posant son verre quelques secondes plus tôt sinon il l’aurait lâché.
Ainsi, le destin auquel il cherchait à échapper depuis tant d’années avait fini par le rattraper. Lui qui n’aspirait qu’à la liberté, se retrouvait désormais contraint de devenir quelqu’un d’autre, un homme qu’il ne voulait pas être, pire qu’il ne méritait pas d’être.
— Je préférerais vous accompagner, père. Si les craintes de la reine sont fondées, le trajet pourrait s’avérer dangereux.
Il fit une légère pause avant de continuer.
— Louis pourrait gérer le duché en attendant.

Joseph Matharel soupira intérieurement. Il comprenait parfaitement ce que son aîné essayait de faire. Il n’était pas né de la dernière pluie et avait rapidement compris qu’il n’aspirait pas à devenir un meneur quand viendrait l’heure pour lui de rejoindre son épouse.
Jusqu’à présent, il avait veillé à former Melchior à son futur rôle sans le noyer sous les responsabilités, afin qu’il puisse avoir une jeunesse sereine et heureuse. Malheureusement, aujourd’hui, il n’avait plus le choix, son fils devait se préparer à devenir duc.
— Melchior, tu sais très bien que je ne peux pas répondre favorablement à ta proposition. Je ne suis pas aveugle, et je suis conscient que tu détestes l’idée de me succéder, mais tu es venu au monde le premier, ce qui a tracé ton destin. Sois cependant rassuré, ce ne sera que pour quelques semaines, je serais très vite de retour.
— Je ne suis pas digne de vous remplacer, répliqua Melchior en serrant les dents, les épaules voûtées.
Joseph se leva et alla rejoindre son fils dont la détresse lui brisait le cœur. Il s’accroupit afin que leurs visages soient à la même hauteur et parla le plus distinctement possible.
— Je t’interdis de penser une telle ineptie. Tu es un homme droit, intelligent et intègre, tu possèdes donc toutes les qualités pour être chef.
Surpris par la hargne dans les paroles de son père, Melchior redressa la tête et ravala les propos acerbes qui menaçaient de jaillir. Il était un vampire et il ne devait surtout pas montrer sa faiblesse, s’il voulait faire honneur à son mentor.
— Prenez au moins Louis avec vous, voyager seul n’est pas prudent.
— Non, je préfère éviter d’avoir à vous séparer. A deux vous êtes plus fort, riposta Joseph en se relevant. Le sujet est clos, ajouta-t-il fermement, alors que Melchior s’apprêter à protester.
Puis il alla se placer devant la fenêtre, tournant le dos à son fils.
— J’aimerais que tu me fasses une promesse, annonça-t-il avant de lui faire face de nouveau. Il s’agit de celle que j’ai faite moi-même à ta mère sur son lit de mort.
— Laquelle ?
— Quoi qu’il puisse arriver dans les semaines et les années à venir, je souhaite que tu ne cesses jamais d’essayer d’être heureux. Avec ton frère, vous avez tous les deux fait mon bonheur et je désire la même chose pour vous.
Melchior n’apprécia pas du tout la demande de son père qui sonnait comme un adieu.
— Vous ne comptez pas revenir, n’est-ce pas ?
Ce dernier sourit.
— Bien sûr que si ! Seulement, je tiens à partir rasséréné, d’où ma demande. As-tu l’intention d’y répondre ? insista-t-il.
Melchior secoua la tête de dénégation.
— C’est impossible, je serais incapable de la respecter.
L’expression de Joseph se rembrunit.
— Je ne tolérerais aucun refus ! Quoi que tu ressentes aujourd’hui, il est hors de question que je te laisse gâcher ta vie. C’est pourquoi tu ne quitteras pas ce bureau sans m’avoir fait cette promesse.
Melchior voulut refuser à nouveau, mais devant le regard autoritaire de son père il ne put qu’acquiescer.
— C’est d’accord, je vous le promets, concéda-t-il.
Satisfait, le duc sourit.
— Parfait. Maintenant, tu devrais aller rejoindre les autres. Je viendrai vous dire au revoir, j’ai encore quelques affaires à régler avant de quitter la ville.
Melchior opina et se leva. Avant de sortir, il regarda anxieusement une dernière fois son père qui ne faisait déjà plus attention à lui, occupé à rédiger un nouveau courrier. Un sombre pressentiment lui serrait les entrailles, mais il décida de le faire taire, persuadé qu’il s’agissait de la conséquence de la mauvaise nouvelle reçue. Il se força à afficher un sourire joyeux et alla rejoindre son frère.